
Quels sont les liens entre l’infiniment petit et l’infiniment grand ? Comment les cubes fondamentaux de la matière se combinent-ils pour former des étoiles, des galaxies ou des trous noirs ? Le livre qui vient de sortir “Amazing Infinite” nous emmène au coeur d’une grande aventure scientifique qui a été suivie par une quarantaine de chercheurs. Ursula Bassler, coordinatrice du livre, explique les problèmes.
Pourquoi résoudre l’infiniment grand et l’infiniment petit dans un seul livre ? Qu’est-ce qui les lie ?
Ursule Bassler. L’ambition des physiciens est de créer une description cohérente de l’univers basée sur des lois universelles. Le lien entre la physique de l’infiniment grand et de l’infiniment petit se fait naturellement. Nous essayons de montrer dans quelle mesure les observations cosmologiques ont des implications pour la physique des particules et vice versa. Par exemple, le boson de Higgs découvert en 2011 a joué un rôle crucial dans les premiers instants de l’univers. On sait aussi qu’il y avait de la matière aussi bien que de l’antimatière au moment du big bang. Or, nous sommes dans un univers constitué de matière. Savoir ce qu’il est advenu de l’antimatière est une question qui préoccupe aussi bien les cosmologistes que les physiciens des particules.
Autre exemple, on sait que l’univers est en expansion sous l’impulsion de l’énergie noire et s’est structuré du fait de la présence de matière noire. Les physiciens de l’infinitésimal recherchent actuellement des manifestations particulaires de cette matière. Enfin, il y a toute une section de physique qui s’intéresse aux astroparticules. Rayons cosmiques, neutrinos cosmiques, ondes gravitationnelles, tous sont des messagers des phénomènes astrophysiques qui se déroulent dans l’Univers.
Comment s’est déroulé le processus d’écriture ?
UB Il s’agit d’un ouvrage collectif basé sur les contributions d’une quarantaine de chercheurs de l’Institut national de physique nucléaire et des particules (IN2P3), mais aussi de l’Institut de physique (INP) et de l’Institut national des sciences spatiales (Insu) du CNRS. Les scientifiques ont déployé beaucoup d’efforts pour vulgariser et concrétiser leurs recherches. Nous avons ensuite révisé les textes pour fournir un récit facile à lire qui présente le contexte historique des découvertes majeures. La recherche en sciences physiques se caractérise par le fait qu’elle se déroule le plus souvent dans le cadre de grandes collaborations internationales. Cet ouvrage a été conçu dans le même esprit collaboratif pour donner un large aperçu de la recherche à l’IN2P3.
Le livre est riche en phénomènes physiques qui dépassent notre expérience quotidienne et notre compréhension. Comment les rendre accessibles au grand public ?
UB En fait, il existe de nombreuses idées étranges, comme un vide qui n’est pas vide mais produit des particules, des neutrinos qui oscillent, un espace-temps qui vibre ou de l’antimatière qui pourrait “tomber” vers les hauteurs. Ce sont des phénomènes physiques très éloignés de la vie quotidienne. En plus du texte, nous avons essayé d’illustrer ces concepts à l’aide d’infographies pour guider le lecteur et l’aider à se faire une image mentale de ces concepts. Nous avons inclus beaucoup d’images, de belles images, parce que nous voulions aussi que ce livre soit beau.
Miracles sans fin s’intéresse également aux méthodes et aux outils qui ont mené à de grandes découvertes. L’histoire de deux infinis est-elle aussi l’histoire des moyens et de l’ingéniosité des scientifiques ?
UB En fait, il y a un échange constant entre la science et la technologie. Le progrès technologique donne accès à de nouvelles connaissances et les questions scientifiques sont également le moteur du développement de nouvelles technologies. Il est fascinant de voir le chemin parcouru depuis les premières émulsions photographiques pour capter les traces de particules et les grands détecteurs du LHC. A noter également que dans ces domaines les outils sont conçus et développés en laboratoire avant d’être construits en collaboration avec les industriels. Un autre aspect important est le traitement des données. La physique des particules produit des quantités massives de données, au point que jusqu’en 2014 la plupart des données circulant sur Internet étaient celles produites par le LHC.
Ursula Bassler au CERN en 2018.
Les applications technologiques qui découlent de ces grandes théories et expériences sont également discutées. Pourquoi devrions-nous également nous soucier de ces questions ?
UB La cosmologie et la physique des particules sont souvent considérées comme des sciences abstraites sans lien avec la vie quotidienne. Nous avons voulu montrer que c’est l’inverse et qu’il existe un lien entre l’infiniment abstrait et l’infiniment concret. Les méthodes et les résultats de ces recherches ont des applications, par exemple, en imagerie médicale ou dans des dispositifs qui visualisent l’intérieur d’un volcan. Bien entendu, il ne faut pas oublier la création du World Wide Web au CERN. Nous traitons également de la question de l’énergie nucléaire et de la radioactivité dans l’environnement. Cela aussi fait partie de la physique des deux infinis.
L’un des grands thèmes qui traversent ce livre est l’idée d’unifier la physique de deux infinis. Pensez-vous que nous sommes proches de ce moment crucial où nous parvenons à combiner ces deux physiques en une seule grande théorie ?
UB Je n’en ai aucune idée, mais la création d’une théorie de la gravité quantique qui permette d’unifier la gravité agissant à grande échelle et la mécanique quantique, qui décrit le monde microscopique, est l’une des motivations pour poursuivre ces recherches. Pendant longtemps, la recherche expérimentale a été guidée par des prédictions théoriques. À l’heure actuelle, je crois que l’expérimentation et l’observation doivent montrer la voie. Ce sont eux qui, espérons-le, souligneront les incohérences des modèles physiques actuels et nous donneront ainsi des indices vers une nouvelle physique. ♦
Lis
Miracles sans finUrsula Bassler (Directrice), CNRS Éditions, novembre 2022, 336 pp., 24 €